Réfléchissez, vous êtes sondés ! (1)
J’ai reçu -tous les Montrougiens aussi (?) [1]- un questionnaire de la mairie de Montrouge. S’armer d’un stylo, cocher des cases et donner son avis quand les instances municipales ne le demandent que trop rarement, c’est séduisant...
Et j’y ai répondu. Ou plutôt, on y a répondu, moi et mon double : le "profane" et le "professionnel"... Le profane que je suis, c’est-à-dire Montrougien depuis plus de 20 ans ; et le professionnel que je suis aussi depuis 17 ans dans un institut de sondage, concurrent et néanmoins "collègue" de TNS / Sofres, la société en charge de l’enquête de la mairie et domiciliée à... Montrouge.
Et, si l’on en croit le dialogue qui suit (dans lequel on trouvera quelques clés de lecture d’un sondage -et en italiques, des citations extraites du questionnaire), la réponse ne fut pas si simple...
Le profane : à la question 1, on me demande si je suis "satisfait de vivre à Montrouge"... Ce n’est pas encore trop compliqué ! Je dirais plutôt oui...
Le professionnel : Ca te regarde, je ne peux pas en juger, mais je ne sais pas très bien ce que signifie ta réponse, et comment je l’interpréterais : "satisfait", pourquoi ? Parce qu’il fait bon vivre à Montrouge (que la municipalité participe ou non à ce confort) ? Parce que tu vis près de Paris et que c’est mieux dans ton cas que d’être à Athis-Mons ? ... Rassure-toi ! Si tu avais été "insatisfait", je n’aurais pas davantage pu analyser ta réponse. Cela aurait-il été dû au fait que tu as abandonné à regret ta ville natale, pour venir travailler en région parisienne ? Parce que, parce que... Ou parce que rien n’est fait à Montrouge pour que tu t’y sentes bien ?
Le profane : Mais si j’avais dû préciser mes raisons, ça aurait pris 3 pages !
Le professionnel : Sans doute, et l’enquête, à peine commencée, aurait déjà été sensiblement plus longue, peut-être trop pour espérer de nombreuses réponses ; c’est un souci constant dans mon métier : ne pas (trop) prendre de temps aux interviewés. Mais, et tu diras peut-être que j’ai mauvais esprit, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’un fort taux de "satisfaits" sera perçu et utilisé par le commanditaire (la mairie de Montrouge, non ?) comme une approbation de son action. Pour lever l’ambiguïté, j’aurais plutôt demandé si les Montrougiens étaient "globalement satisfaits de la politique d’aménagement et de développement de leur commune". Et puis, c’était une manière polie et discrète de leur demander leur affinité politique, histoire d’avoir une clé d’analyse supplémentaire...
Le profane : Attends que je poursuive l’enquête avant de dénigrer... Question 2, je dois choisir "2 domaines prioritaires pour l’aménagement de la ville", parmi 5...
Le professionnel : Rien à redire, ça me paraît clair...
Le profane : Tu vois que tu avais tort... En plus, à la 3ème question, on me propose de préciser les équipements prioritaires, parmi une liste ; là, je peux préciser mon avis. Et je peux dire aujourd’hui que la "construction de crèches, d’écoles maternelles et primaires" me paraît "très prioritaire" ! Ca doit faire 10 ans qu’en tant que parents d’élèves (je t’ai dit que j’avais des enfants ?), j’essaie avec beaucoup d’autres de le faire comprendre aux responsables municipaux ; et autant d’années que les programmes immobiliers "oublient" d’intégrer des groupes scolaires...
Le professionnel : Là, c’est toi qui fait du mauvais esprit... A ce propos, la question parle "de construction et d’extension des équipements", pas seulement de "construction"...
Le profane : C’est vrai ! En matière d’extension, on ne peut pas se plaindre, on en a agrandi, des écoles à Montrouge, que ce soit "en dur" ou en "algeco"... Passons !
Questions 4 et 5, on s’attaque à la construction de logements... Faut-il construire encore ou non ? Et doit-on aller au-delà des 20% de logements sociaux ? Etant donné (tout) ce qu’on a vu pousser ces dernières années, et le type de constructions dont il s’agit, j’ai ma réponse, mais je la garde pour moi...
Le professionnel : Ta discrétion t’honore ! ... Peux-tu me relire l’intitulé exact de la question 4 ?
Le profane : ??? ... Oui... "la ville de Montrouge a fait beaucoup d’efforts au cours des dernières années en matière de construction de logements. Mais le logement reste un problème pour de nombreuses familles en Ile-de-F..."...
Le professionnel : Pas la peine d’en lire plus. Je te laisse juge de l’objectivité de l’affirmation.
Le profane : Surtout qu’en question 6, on me propose de continuer l’effort en construisant soit : "des studios ou 2 pièces... / des 3 pièces... / des logements plus grands...". Moi qui venais de répondre "qu’il n’est plus nécessaire de construire, sauf des logements sociaux", je fais quoi ?
Le professionnel : Tu touches là un point sensible de l’analyse d’enquête ! Tu dois choisir 1 réponse parmi 3... Si tu ne t’y retrouves pas, comme ça peut être le cas quand la question est à sens unique, tu ne réponds pas. Et moi, qu’est-ce que je fais ? Soit je prends en compte les non-réponses, soit je calcule les résultats sur les "répondants", et ça change tout !
Le profane : Comme le vote blanc aux élections, qui n’entre pas en ligne de compte...
Le professionnel : On pourra te rétorquer qu’aux élections, il faut bien élire quelqu’un ; là, si je te ne tiens pas compte de ton refus de répondre, je devrai au minimum et par honnêteté, signaler le nombre de "sans réponse".
Le profane : Ouf ! A la 7ème question, j’ai un vrai choix à propos des pavillons à Montrouge : "en construire davantage, maintenir l’existant ou réduire leur nombre"...
Le professionnel : Sais-tu combien il y en a combien aujourd’hui ?
Le profane : C’est précisé ! Il y en a "800, et 35 ont été construits ces dernières années"...
Le professionnel : 800 + 35 ou 800 dont 35 ? Et il y a 10 ans, combien y en avait-il ?
Le profane : Tu pinailles...
Le professionnel : Pas du tout ! Si on dit juste qu’en 2006, il y a 800 pavillons, c’est une info objective qu’on te demande de juger ; Préciser les 35 efforts (!) de construction sans te dire qu’il y en avait peut-être 900 en 1995, comment appelles-tu ça ?
Le profane : C’est toi le pro... Tiens, question 8, on m’incite encore à construire, comme à la 6ème question. Et ça recommence à la 12ème...
Le professionnel : Pas besoin de te refaire le dessin ! Visiblement, l’immobilier n’est pas prêt de s’arrêter à Montrouge...
Le profane : Question 9, on passe aux implantations d’entreprises. Tu vas être content, on m’informe objectivement que "la commune accueille 23.000 emplois" et que "les entreprises apportent 50% de ses recettes fiscales". Ceci dit, si je réponds que "l’accueil d’entreprises nouvelles n’est pas prioritaire", je m’expose à une éventuelle augmentation des impôts locaux...
Le professionnel : A toi de répondre en conscience ! Tout dépend de ton niveau de solidarité citoyenne...
Le profane : Je paye mes impôts en jugeant cela parfaitement normal : ça répond à ta curiosité ?
Le professionnel : Passe à la question suivante, ou tu n’en finiras jamais !
Le profane : Les questions 10 et 11 traitent encore des entreprises ; à part qu’il est question du "PLU", j’ai l’impression que je peux répondre !
Le professionnel : Ah... l’utilisation d’abréviations dans un questionnaire ! Expliquer, en des termes à la fois clairs et concis, ce que le terme recouvre, cela peut vite s’apparenter à la quadrature du cercle ! Ceci dit, donner au moins 1 fois la signification "développée" de l’abréviation employée ne peut pas nuire...
Le profane : N’insiste pas, je t’ai dit que je peux quand même répondre...
Le professionnel : Pour ta culture : le PLU, c’est le Plan Local d’Urbanisme !
Le profane : Quelle science !
Le professionnel : ... (silence gêné !)
Le profane : Bon, je continue... Question 13, je peux contribuer à sauver des bâtiments de Montrouge... Puisque tu sais tout : la "Rotonde" (immeuble de l’ancienne agence France Telecom, angle avenue Verdier et avenue de la Marne) est-elle protégée ?
Le professionnel : Si quelqu’un nous entend, il pourra peut-être te le dire...
Le profane : Dans le doute, je demande sa préservation... Et si la question avait été posée il y 10 a ans, j’aurais "sauvé" quelques jolis pavillons aujourd’hui disparus...
Le professionnel : Passéiste !... Sur la commune, y a-t-il d’autres éléments architecturaux à voir ?
Le profane : Rien d’extrêmement marquant, il me semble, mais si tu lis l’excellent article proposant des "dérives urbaines" [2], tu pourras faire une agréable promenade dans notre commune ! A propos d’architecture marquante, le maire semble souhaiter, question 14, la construction d’une "architecture remarquable"...
Le professionnel : Relis la question en entier, tu verras qu’il s’agit de construire "une architecture remarquable en bordure du périphérique".
Le profane : Mais il n’y a plus de place !!! A moins de faire sauter la faculté dentaire qui tombe en ruine... Ou de déconstruire l’immeuble Appolonis qui reste désespérément vide...
Le professionnel : Tu as raison, d’autant plus que, pour être encore plus précis, le projet municipal proposé est "une tour de bureaux à l’architecture remarquable...". Remplacer des bureaux vides par d’autres bureaux vides pour "dynamiser l’image de la ville", ça c’est une idée remarquable !
Le profane : Que tu es perfide... Et si on faisait une pause ? A t-on le droit ?
Le professionnel : Tout à fait ! C’est l’avantage d’un questionnaire "auto-administré", que tu remplis toi-même : rien ne t’oblige à y répondre d’un trait...
Le profane : Alors, allons faire un tour dans Montrouge... Et on pourra peut-être encore mieux répondre à la suite du questionnaire qui concerne entre autres "les déplacements"
Le professionnel : Tu me montreras la mairie !!! Et la Sofres !!!
La suite : « Réfléchissez, vous êtes sondés ! (2) »
[1] Il semble que certains ne l’ont pas reçu : distribution imparfaite ou technique d’échantillonnage, par quartiers, types de résidence... ? La question est posée.
[2] Lire « Dérives urbaines paléo-lithiques (1) » et « Dérives urbaines paléo-lithiques (2) ».