Les Ailes du Désir
Le mot anorexie (littéralement : “absence d’appétit”) me laisse... sur ma faim. Appétit de quoi ? Et pourquoi cette absence ? Rien n’est dit. Comme sur la couverture du livre de Virginie Megglé, qui nous montre un corps féminin aux courbes généreuses. Mais, privé de tête et nous tournant le dos, il apparaît zébré de griffures. Que nous dit donc ce corps souffrant qui ne trouve pas les mots ? Je sais juste, a priori, qu’il est en danger de mort, puisque l’anorexie est la deuxième cause de mortalité pour les adolescents (derrière les accidents de la route).
“Croquer la vie à pleines dents” ou au contraire “avoir le coeur au bord des lèvres”, les métaphores alimentaires se déclinent à l’infini pour décrire le bien ou le mal-être. Loin de jeux de mots gratuits, on entre déjà là dans le vif du sujet. C’est-à-dire : comment, justement, être un sujet, comment habiter son corps, refuser qu’il ne soit qu’un objet. Ici, l’actualité nous rattrappe, avec la mort d’un de ces mannequins filiformes parfois interdits de podium comme pour cacher un mal honteux.
Mais comment croire que les jeunes filles anorexiques ne font qu’obéir à une mode, comme elles choisiraient une coupe de pantalon ? Il s’agit plutôt de trouver sa place. Sa place dans le temps, c’est : vivre maintenant, pas pour consoler sa mère de sa jeunesse perdue, ou rappeler le souvenir d’un disparu. Le passé mal digéré n’est qu’un poids mort. De là l’envie des anorexiques de s’en dégager, de devenir légères comme des plumes, comme des anges. Mais gare aux attraits trompeurs de la pureté extrême. Certes, dans le ciel de Berlin, les anges de Wim Wenders sont lucides : ils voient tout, entendent tout. Mais ils sont aussi trans-lucides : hors de la vie, personne ne les voit.
Sa place dans l’espace, c’est : le volume qu’on occupe. Et les contours qu’on se donne : qu’est-ce qui est dedans ? Qu’est-ce qui est dehors ? Si l’on n’en est pas sûr, c’est la panique. Comment reprendre le contrôle ? Le soin extrême apporté au choix des aliments est souvent le premier signal d’alerte. Le signe d’une incapacité à opérer des choix - intérieurs ceux-là.
Ne pas manger n’importe quoi. Ne pas manger n’importe comment : une forêt de codes de bonne conduite nous protège quand on mange. Mais qui n’a pas connu les tortures des grands repas de famille ? Comme dans “Festen” de T. Vinterberg : que l’on s’écarte un peu du cérémonial pudique, et ce sont toutes les haines anciennes qui sont vomies à table par les convives.
Alors quoi ? Il faudrait se taire ? Non, “moi j’ai envie de parler aux vivants” dit Virginie Megglé. Et d’écouter leurs maux se dire. “Taisez-vous ! C’est moi qui sais !” dit à Freud une patiente. Pour cela, surmonter le réflexe de peur que déclenche l’apparence des anorexiques, plonger dans leurs yeux immenses, profiter de cette porte d’entrée.
Car à trop se figer de peur ou de dégoût, on oublie que la vie est mouvement. D’où le nom du site créé par Virginie Megglé : “psychanalyse en mouvement” [1]. Et le choix des photos qu’on y trouve. Elles sont l’oeuvre de son compagnon, et presque toutes sont des portraits flous.
Un idéal : savoir bouger, mais rester dans le cadre. C’est bien ce que pressent l’héroïne malheureuse de la "Rose Pourpre du Caire" qui retrouve un timide sourire face aux gracieux mouvements de Fred Astaire à l’écran.
Certes, dans l’urgence, les traitements pratiqués dans les hôpitaux français sauvent des vies. Mais tout reste à faire ensuite car on ne sort pas grandi des pesées au gramme près (avant et après repas). Au contraire, c’est la régression garantie au stade du nourrisson, et ce seul mot renvoie à l’obsession de la nourriture subie. Quant à l’extrémité du gavage par sonde, il parachève, par le biais d’une intrusion forcée, la transformation fatale du sujet en objet.
A Montrouge, on peut se procurer le livre de Virginie Megglé à la "Librairie-Papèterie du Centre" ainsi qu’à la librairie "Le Vent des Pages".
coucou,
l’anorexie deuxieme cause de mortalité ? Effrayant ! Mais où sont-elles ? Car je crois qu’il s’agit plutot d’un mal féminin. Je ne les vois pas au lycée de Montrouge, sont-elles déjà devenues invisibles et translucides ? On a tendance, c’est vrai, à voir plutôt les obsèses, qui semblent vouloir dire : "regardez moi, je suis là !". L’anorexie serait-elle le désir de passer inaperçu ? Comment alors les repérer, interpréter cette maigreur comme un appel de détresse à exister ?
Et le suicide ?
Bise
Marianne
PS : un livre de mon adolescence qui m’a marqué sur l’anorexie : le pavillon des enfants fous de Valérie Valère : magnifique !Elle en est morte d’ailleurs.
C’est exactement ce que j’ai ressenti à la fin de ma grossesse, une fois accouchée !!!
Je ne me reconnaissais plus dans ce corp, qui depuis le 4ème mois de grossesse n’était déjà plus le mien !
Je et j’ai mangé n ’importe quoi à me faire vomir pour essayer d’endiguer cette énrme masse que j’étais devenue !
Ca m’a pris du temps et beaucoup d’effort pour gerer le problème ; je ne voulais pas en parler, à personne...
Et puis un jour j’ai oser ! J’en ai parlé à la mère de mon mari qui m’a écouter, conseiller, aidé et ce fut le déclic ! Maintenant ça va nettement mieux, grâce à elle !!!