Ville et Internet : pour un territoire démocratique
Diverses cités. Diversités. Telles sont les pratiques en matière de « démocratie participative et Internet », thème de la journée du vendredi 23 mars 2007, organisé par l’ANIS (Association Nord Internet Solidaire) pour le compte de la ville de Roubaix. Un panorama hétérogène d’initiatives citoyennes utilisant les technologies d’information et de communication (TIC). Souvent coordonnées par des collectivités territoriales. Trop peu animées directement par des habitants et par des associations. MontBouge a eu l’occasion d’y présenter son expérience au côté de notre voisin Malakoffiot Jean-Emmanuel Paillon, représentant le blog de « La Vigie ». Une journée de rencontres permettant de revenir avec des contacts, des projets. Et d’interroger la démocratie participative inexistante dans notre contrée locale.
Dans l’enceinte majestueuse de l’Hôtel de ville de Roubaix, une soixantaine de personnes assistait à la matinée plénière ponctuée d’interventions aussi bien universitaires que liées à des retours d’expériences de terrain. L’après midi étant réservé à des ateliers pratiques. Butinage sélectif d’une journée riche de 18 interventions dont certaines se déroulaient en simultané [1].
A Jacques-François Marchandise de la Fing [2] de rappeler des usages de bon sens à contre-courant d’un discours béat et évangélisateur : « L’Internet n’est pas seulement de la technologie mais un fait social aussi complexe que les conflits sociaux ». Il est rapport de force. D’où son appel à une meilleure appropriation des TIC à des fins citoyennes : « pendant qu’on ne s’occupe pas de technologie, les logiques de business, de technologies avancent toutes seules ». D’autant qu’un « dialogue de sourds entre les élus et les acteurs d’Internet » n’arrange pas la situation. Les méfiances sont multiples : démagogie, participation sous forme de presse-bouton (et sa dérive du vote électronique), manipulations… Et de poser la quête du sens : « comment arriver à faire une démocratie directe augmentée par Internet ? ». Une question de bien commun et d’intérêt général mieux partagés, mis en réseau, échangés…
Méfiance et dialogue de sourd semblent être une réalité qu’a connue Véronique Barre, chargée de mission « Communication et territoire numérique » de la Communauté de communes Action Fourmies et de ses environs [3]. Heureusement, le bien commun a gagné par des moyens détournés.
A l’origine un projet de débat sur l’éolien public qui fait peur aux élus. Un contexte tendu : absence d’instance de débats, manque d’habitude des élus à se « confronter avec la population », méconnaissance de l’Internet. S’ajoute un changement de présidence de la Communauté de communes. L’éolien a du plomb dans l’aile.
Changement de climat en réorientant l’action via le projet pédagogique « J’apprends la démocratie » avec des enfants et des enseignants. Objectif : instaurer un dialogue, à l’aide des TIC, entre élus et enfants de 9 à 10 ans. Une appropriation mutuelle intergénérationnelle qui tisse des liens citoyens.
Au final, la création d’un journal papier, un développement d’information sur le net (projets, enquêtes, délibération en ligne), le souhait de la mise en place d’un débat sur le développement du territoire. Pour Véronique Barre, les clefs du succès « nécessitent un portage fort, une maturité des élus pour la mise en place d’un débat appuyé par les TIC ». Et de questionner : « sont-ils prêts à rencontrer la population et à échanger avec les habitants et sur le net ? ».
Il n’y a pas qu’à Fourmies qu’on se questionne…
Pour Philippe Jarry, responsable Intranet/Internet d’Ivry-sur-Seine (56900 habitants), sa ville développe une culture de la démocratie participative : assises de la ville tous les 2 ans, réunions thématiques décentralisées, services en ligne, caravanes à idées, rencontre annuelle de jeunes, expositions thématiques, rencontres de proximité… A travers l’opération « 7ème quartier en ligne », l’objectif est d’ouvrir un forum de discussion pour permettre aux internautes ivryens de participer aux débats, suite aux rencontres engagées dans le cadre des six quartiers géographiques. Toutes les deux semaines, des réponses ou des éléments de réflexion sur chacun des thèmes évoqués sont apportés. Sorte d’agora en ligne. Un pont entre virtuel et réel.
Dans un registre plus culturel et ludique, l’expérimentation « Tout Rennes blogue » portée par Hugues
Aubin, chargé de mission TIC de la ville, est une tentative réussie de blogosphère locale autour du « vivre ensemble ». Comment la ville est-elle vue par les Rennais ? Pour y répondre, la municipalité met ses moyens techniques à disposition : publicité, haut débit, prêt d’une flotte de 50 téléphones mobiles via un partenariat privé… Le résultat, au bout de 10 mois, ressemble à un kaléidoscope spontané, manipulé, détourné, amusé, critique… de l’espace public. Multipolaire, multimédia. Multiple. « Une métaphore du territoire hétérogène, riche, subjective » d’après son initiateur. La démocratie participative s’exprime aussi par sa culture et son art. Admirable.
MontBouge avait déjà remarqué l’initiative de proximité réalisée par LeBlog2Roubaix dans le cadre du festival de Romans [4]. Son animateur, Bruno Lestienne, salarié du Comité de quartier de l’Hommelet [5], souhaite « donner la parole aux gens ». Mi télé locale sur le net, mi vidéoblogs avec la limite de l’expression spontanée (pouvant tourner à la télé-réalité de café du commerce), LeBlog2Roubaix traite de l’actualité roubaisienne dans le domaine associatif, par des interviews et des reportages. Un ancrage local de « participation citoyenne ». Une approche militante fondée sur la réappropriation des médias à des fins sociales. Le tout fait avec passion, sans moyens financiers. Une aide de la commune de Roubaix semblerait la bienvenue. A bon entendeur...
Même si Internet est source de partage, d’échanges, de démultiplication, d’ubiquité… la démocratie participative peut très bien s’exercer sans cet outil technique. Elle doit même pouvoir exister sans Internet, à l’heure où la fracture numérique (1 foyer sur 2 n’est pas équipé d’Internet) est encore d’actualité. Deux exemples nous l’ont rappelé.
Tout d’abord, l’expérience de Villeneuve d’Ascq [6] présentée par Marie Ginet (chargée de mission promotion de l’innovation) exposait la mise en place d’ateliers budgétaires qui présentent le budget municipal aux habitants, et les informent de manière transparente et pédagogique, afin de susciter un débat local sur les attentes et orientations futures. Un travail nécessitant une forte mobilisation des élus et des services techniques. L’ensemble du budget, subdivisé en 17 domaines (enseignement, culture, sport…), était représenté graphiquement. Des outils de vulgarisation ont été réalisés pour « se mettre à la place des citoyens ». Deux réunions
thématiques furent organisées. La pointe technique fut l’utilisation d’une « Foire aux questions » (FAQ) alimentée par le questionnement des habitants et des réponses contextualisées. Enrichissement pour la municipalité (« on reçoit des questions qu’on ne s’est jamais posées. ») et pour les habitants (« un budget est révélateur des orientations politiques de la ville »). Une idée à reprendre à Montrouge…
Echelon suprême de la participation citoyenne au niveau local : le budget participatif. C’est l’engagement de la ville de Grigny (située au sud de Lyon - 8 600 habitants) qui depuis 2005 l’a mis en place sur la partie investissement, soit la moitié du budget communal. Un travail qui nécessite « dix fois plus de temps mais une réelle implication des habitants », d’après Estelle Charpenay du service démocratie participative de Grigny : assemblées de quartier et d’associations en mars, réunions quotidiennes d’avril à novembre (200 habitants, une réunion tous les quinze jours - le soir), questionnaires et forum en ligne, réunion d’élagage en novembre (200 personnes, 336 propositions retenues sur les 600 initiales), chiffrage des propositions de novembre à janvier (par les services techniques), mise aux voix des projets (compte-tenu des éléments chiffrés) et vote du budget participatif et communal en janvier. Un investissement fort de la part du personnel communal et des habitants. Un contexte « quasi familial », de « petite taille », une volonté politique forte du maire... autant d’éléments qui ont joué en faveur de cette gestion locale spécifique à Grigny. On peut toujours rêver pour Montrouge…
Le mérite de cette journée est d’avoir montré, à travers différents prismes, des expériences participatives, mobilisatrices, qui croient à l’intelligence collective d’un territoire. En 2004, MontBouge diffusait toute une série d’articles sur la démocratie participative. Il n’est jamais trop tard pour les (re)lire [7]. Pour poursuivre cette problématique, consultez l’interview de Julie Bailleul, salariée de l’ANIS et organisatrice de cette rencontre régionale : "Internet parfumé à l’ANIS".
[1] L’ensemble des contributions est consultable sur le site de l’ANIS.
[2] Jacques-François Marchandise anime le groupe de travail « Nouvelles proximités publiques » de la Fondation Internet Nouvelle Génération (Fing).
[3] La Communauté de communes compte 21265 habitants. Elle est située sur un territoire rural aux confins du département du Nord, limitrophe avec l’Aisne et la Belgique.
[4] Lire "De l’after à l’alter... Romans.
[5] Cette association d’habitants réalise différentes manifestations citoyennes : festival de musiques urbaines, lutte contre l’abstention, gestion d’un jardin partagé, échanges européens, animations festives de quartier…
[6] Située en métropole lilloise, Villeneuve d’Ascq compte 65 000 habitants, deux universités (50 000 étudiants), et 50 % de logements sociaux.
Excellent article :)
Cependant, je ne suis pas d’accord sur l’expression " télé réalité de café du commerce ".
Je pense d’abord que les media "normaux" s’appuient peut-être trop sur, soit des gens bien lisses, soit des gens exposant leurs malheurs ou leurs différences (type TF1...), et ce n’est pas du tout notre but. L’idée du videoblog, c’est "on se voit dedans" (le "on" étant des gens des quartiers, des politiques, etc).
Si parfois il y a quelques moments de vie, ceux-là pour la plupart sont diffusés pour valoriser des initiatives d’habitants. Qu’il y ait de temps en temps, un accent chti, ou une expression populaire, un rire, moins "commerciaux" que sur les grandes chaines de télé, ne tombe pas forcément dans ce qu’on appelle "la télé réalité". Mais plutôt une réalité de la vie !
Mais c’est aussi le regard du "spectateur internaute" qui doit s’adapter à cette réalité là. (et on peut pas tous être comme Loic Le Meur, ne montrer que les plus riches de la planète, bien cleans dans leur business plan, par des interviews façon argumentaires BTS Action Commerciale) ;)
Le coté café du commence... j’évite aussi de montrer des discussions inutiles et ce n’est pas de la "vie quotidienne" : ce sont des moments *exceptionnels* d’organisation d’opérations de quartier, relatifs à la participation, etc.
(ok, il y a peut-être juste UNE discussion assez typique, on va dire "gratuite" (en intérieur) et récente qui peut faire penser à l’approche qu’avait Pierre Bonte et je crois de toute manière qu’elle est faite avec énormément de respect, celle autour d’un carnaval, pour valoriser un personnage de ladite rue).
Qu’il y ait des échanges parfois spontanés, ok, mais c’est pour la plupart du temps dans le cadre de ces opérations-là.
Pour le dire autrement, il n’est pas du tout question de montrer les gens dans leur faiblesse ou leur défaut comme le fait ce qu’on appelle "la télé réalité". Et c’est surtout une manière de montrer la vie Roubaisienne, ce qu’on fait dans les assos, quelques coulisses.. de faire partager qui sont pour moi des moments qui méritent de l’être.
Mais, n’hésitez pas à m’apporter aussi vos réactions, vues d’ailleurs et ce que vous évoquent tel ou tel sujet, la façon dont il est traité, l’mpression que cela vous offre de loin.
Bruno L.