Apani Dhani : tourisme écologique à l’indienne
A l’heure où les pays riches continuent de produire et de consommer toujours plus et où les pays émergents cherchent à les rattraper, la planète crie grâce et les tensions pour le contrôle des ressources rares s’accroissent. Une prise de conscience a bien lieu, on assiste à de belles déclarations mais pour quels résultats effectifs ? Quant les politiques sont défaillantes, la société civile se mobilise ici et là-bas. Là-bas, c’est en Inde
[1].
Nawalgarh : une bourgade tranquille à 300 km à l’Ouest de Delhi , dans une région appelée le Shekhavati. Quand on arrive à l’éco-lodge Apani Dhani (traduisez : "l’éco-maison d’hôte Mon hameau"), on est surpris par deux choses : l’accueil de Krishan Sahal dans un français relativement aisé et la présence de panneaux thermiques et photovoltaïques sur les toitures des bâtiments. Krishan, le manager du lieu, va fournir les réponses à nos questions en l’absence du propriétaire-fondateur Ramesh C. Jangid.
Ramesh, nous dit-il, est un enfant du pays, issu d’une famille brahmane modeste. Après avoir travaillé comme instructeur de planeur, il se lance comme défi de promouvoir un tourisme différent. Lors d’un séjour en Allemagne, il découvre des réalisations écologiques et décide de passer à l’action dans son pays. L’aventure d’Apani Dhani commence donc en
1990. Les moyens de départ sont limités mais les idées ne manquent pas. L’objectif c’est d’accueillir des touristes, de leur faire découvrir une région et ses coutumes, de les faire vivre, ainsi que la famille et les employés, dans des conditions de semi autarcie, de respect de l’environnement et de préservation de la culture locale.
La construction des bâtiments, ordonnés autour d’une cour intérieure – chambres d’hôtes, communs, habitations de la famille et des employés – a été réalisée avec des matériaux et des méthodes locales. Double épaisseur des murs : briques cuites à l’extérieur, briques séchées à l’intérieur ; petites ouvertures pour l’aération et toit réalisé en “pampas”, un végétal local, le tout pour garder la fraîcheur et combattre la chaleur et la sécheresse des mois d’été [2]. L’enduit est fait d’un mélange de sable, d’argile et de bouse de vache. L’ocre, tiré de la roche, teinte le crépi et des motifs décoratifs sont peints à la chaux. “C’est plus écologique et plus économique que les matériaux traditionnels” commente Krishan.
Usages traditionnels d’un côté, modernité de l’autre : des panneaux photovoltaïques sont installés sur les toits des chambres et les terrasses des bâtiments. Deux circuits se juxtaposent sans interférer : photovoltaïque d’un côté, électricité du réseau local de l’autre. Si les batteries du photovoltaïque s’épuisent, on passe au réseau local, si le réseau local est coupé, ce qui arrive quotidiennement, on repasse au photovoltaïque. Pour l’éclairage, des ampoules basse consommation. L’investissement a commencé en 2002 - à cette époque un panneau valait l’équivalent de 240 euros : très cher pour le niveau de vie local [3]. Le problème du photovoltaïque, dans les conditions où il n’y a pas cogénération [4], c’est le stockage de l’électricité dans la journée pour une restitution le soir, un stockage limité par la capacité des accumulateurs.
Deuxième utilisation du soleil, les panneaux solaires qui fournissent l’eau chaude pour les usages domestiques. Des panneaux d’abord fabriqués sur plans par la famille, puis achetés aux fabricants indiens. Avec 10 mois de soleil, les besoins sont pratiquement couverts.
Si le soleil fournit une énergie renouvelable, l’eau par contre est une ressource rare. Le tourisme est un gros consommateur d’eau qui entre en concurrence avec les besoins agricoles et domestiques locaux. L’éco-lodge tire son eau d’un puits creusé sur le domaine. Il faut descendre à 100 mètres pour remonter l’eau d’une nappe phréatique dont le niveau baisse d’un mètre par an. D’ou la nécessité d’une stricte gestion de la ressource. Essentiellement par des micros-pratiques : réduction de la contenance des chasses d’eau à 1 litre ; suggestion d’utiliser la méthode indienne pour se laver avec seau et broc d’eau. Pas d’intégrisme écologique cependant : des douches sont présentes dans chaque chambre. L’eau de boisson est obtenue par filtration ce qui évite l’usage de bouteilles plastiques [5].
Plus surprenant, tous les repas, du petit-déjeuner au dîner, sont servis dans des assiettes végétales faites de feuilles séchées compressées tenues par des liens végétaux. Après un usage unique, les assiettes vont nourrir le bétail ou se retrouvent au compost. Economie de lavage. Quant au linge, il pourrait être traité à la manière indienne, économe d’eau, par le mouillé-frappé au moyen d’une batte. Là encore, pas d’intégrisme, il y a dans le domaine un lave-vaisselle et un lave-linge.
Enfin, un grand réservoir enfoui en sous-sol recueille l’eau de pluie des terrasses et de la cour, une eau dédiée à l’arrosage des cultures.
Une soupe de lentilles, des courgettes mijotées, des pommes de terre masala, trois plats subtilement épicés, légèrement pimentés - une grande partie de l’art culinaire indien réside dans la manière de doser et de cuisiner les épices – le tout accompagné de riz et de chapatis, ces petites galettes de blé qui font office de pain, voilà un repas-type à Apani Dahni. Un repas végétarien - ce qui est une autre manière de protéger l’environnement [6]. Les trois composantes du régime végétarien complet en apports alimentaires sont là : légumes, légumineux, céréales.
Une grande partie de ce qui arrive sur la table provient du potager et du champ du domaine. Des aubergines au blé en passant par quelques fruitiers, on y voit un peu de tout – sauf du riz. Culture bio, sans apport chimique. Rien que de l’engrais naturel, compost et fumier. C’est une manière de répondre à l’abus du chimique dans l’agriculture indienne depuis la “révolution verte” [7].
L’hôtel-exploitation agricole possède aussi quelques vaches et chèvres. De quoi fournir lait, beurre et yaourt. Des achats complémentaires ont lieu sur le marché local chez des exploitants pratiquant le même type d’agriculture.
Dernière étape : la valorisation des déchets, un défi dans un pays qui ressemble par endroits à une vaste décharge publique. A l’éco-lodge, l’organique va au compost et le reste au tri sélectif. Quatre bacs recueillent le plastique, le papier et le carton, le verre, les métaux. Krishan nous montre un panneau où sont écrites les quantités récoltées chaque mois et revendues à une entreprise de collecte de la ville.
Ce lieu partiellement autosuffisant fait vivre une douzaine de personnes qui se partagent le travail : la famille et cinq employés. Il peut accueillir une vingtaine de visiteurs dans une dizaine de chambres plus trois tentes d’appoint.
L’accueil de Krishan complète le tableau. Quelques mots
sur lui. Ses parents lui ont payé un cursus scolaire dans une école en langue anglaise, puis trois ans d’études supérieures au collège (littérature, économie, sociologie). Il a suivi une formation au tourisme par correspondance. Il a appris le français au cours d’un bref stage et puis sur le tas, si l’on peut dire. 28 ans, divorcé (fait rare en Inde), il aime son job et cela se voit. Discret, efficace, serviable, il prend plaisir à échanger avec les touristes de passage.
Tourisme intelligent, développement durable et protection du patrimoine forment donc un ensemble. Mais notre tableau n’est pas encore tout à fait complet. Nous avons interrogé par téléphone le créateur d’Apani Dahni, Ramesh C. Jangid. Il développe un tourisme responsable depuis les années 1980 avec son agence Alternative travels-India, pratiquant le contact de petits groupes de touristes avec la population locale.
Il soutient deux ONG locales : Asha Ka Jharma qui s’occupe de la scolarisation et de la formation professionnelle d’enfants handicapés et R.E.A.D.S. qui favorise la scolarisation d’enfants de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté. Il a aussi ouvert une branche locale de l’ONG Indian National Trust for art and culture (INTACH). Celle-ci se charge de sensibiliser les habitants et en particulier les écoliers au patrimoine local, avec des concours d’images de havelis par exemple. Elle organise, pour les maçons et peintres locaux, des ateliers sous l’égide de spécialistes, où se transmettent des savoir-faire qui se perdent. Les havelis sont de vastes demeures du Shekhavati dont les murs intérieurs et extérieurs sont décorés de fresques représentant des scènes animées, en une sorte de BD géante. Construites pour la plupart entre 1830 et 1930, elles ont besoin d’être réhabilitées au lieu d’être abandonnées à la dégradation. Ces actions sont soutenues par l’association « les Amis du Shekhawati », fondée en 1993 par Ramesh avec une française, Catherine Ripou.
Pour couronner le tout, la fondation Samarpan (”dévouement”) a été créée en 2005 pour centraliser les ressources et les dispatcher dans les différents projets dont on vient de parler. 5% du Chiffre d’affaires de l’agence de voyage et 5% de celui d’Apani Dahni sont systématiquement versés à la fondation qui reçoit aussi des dons.
Toute une philosophie sociale est ici à l’œuvre et donne des résultats. Une prise de conscience se fait. Des gens se mettent à rénover les havelis et emploient les artisans nouvellement formés. Corrélativement le tourisme devient plus responsable. L’éco-lodge présente au nouvel arrivant un ensemble de conseils de comportement et de civilités dans un environnement resté très traditionnel. Précisons juste un point. Les havelis sont une richesse architecturale à Nawlaghar et alentour. Si l’on voyage en indépendant, on peut les découvrir au petit bonheur de la marche à pied. Invariablement de jeunes garçons vous proposeront de faire le guide. Faut-il accepter ? Non, il ne faudrait pas. Les parents finissent par ne plus envoyer leurs enfants à l’école pour les faire traquer le touriste. En une heure ou deux de visite, un enfant-guide pourra gagner, avec un touriste assez “généreux”, plus que son père en une journée de travail. Pour éviter cette perversion, il faut préférer un guide adulte.
Vous l’avez compris, Apani Dhani est une adresse à conseiller, tant pour l’engagement écologique [8] que pour la nourriture et l’hébergement. La grande table d’hôte accueille des visiteurs de toutes nationalités qui échangent leurs expériences. On y rencontre beaucoup de français – comme par exemple, ce couple de réunionnais qui a fait le tour du monde à vélo. Dernier point, les tarifs du séjour sont raisonnables [9].
Le site d’Apani Dhani – version française- donne toutes les informations utiles pour les voyageurs, ainsi que le mail pour les réservations enquiries@apanidhani.com. On trouve aussi des infos sur le site des Amis du Shekhavati dont Catherine Ripou est la responsable.
[1] La législation indienne protectrice de l’environnement existe. Elle est très inégalement appliquée. Les crédits coulent souvent dans le marais de la corruption.
[2] Le visiteur doit prendre ses précautions entre un hiver qui peut être froid, un été très chaud et la période des pluies de mousson.
[3] A titre de comparaison, le salaire minimum officiel au Rajasthan est de 80 roupies par jour soit environ 1,40 euros.
[4] Dans la cogénération, l’énergie électrique du photovoltaïque qui n’est pas autoconsommée est injectée dans le réseau électrique local.
[5] Le plastique est une calamité en Inde. Les sacs, abandonnés un peu partout, sont ingérés par les animaux et bouchent les canalisations d’égout. La récupération du plastique fait vivre de petits métiers, mais au final, 15% seulement du total est recyclé. A Apani Dhani, on confectionne des sacs en papier journal.
[6] L’élevage est un gros consommateur de céréales. A l’échelle mondiale, alimenter le bétail et la volaille revient à produire autant de céréales que pour nourrir 4 milliards d’habitants. Le “rendement écologique” de l’alimentation végétarienne est en effet nettement supérieur à celui de l’alimentation carnée. Si la cuisine d’Apani Dhani est végétarienne, personne n’est obligé de manger sur place. On trouve aussi du non végétarien.
[7] La révolution verte qui s’est étendue à l’Inde dans les années1970 a introduit de nouvelles variétés de semences plus productives. La production alimentaire s’est fortement accrue ce qui a permis d’éviter les famines de la période précédente, mais cette révolution a eu des conséquences négatives sur l’équilibre social et écologique : avantage aux paysans riches et dépendance des engrais chimiques.
[8] Il faut reconnaître qu’il existe une nuisance écologique incompressible due au voyageur occidental, c’est le trajet en avion vers l’Inde, gros fournisseur de gaz à effet de serre.
[9] Apani Dhani figure dans le Guide du routard édition 2007. En janvier 2008, la chambre coûtait environ 17 euros (995 roupies - une conversion qui dépend d’un taux de change fluctuant) et si on prenait la totalité petit-déjeuner, déjeuner et dîner, cela revenait à environ 10 euros (590 roupies ), taxes comprises. Ce qui fait que le Routard le classe dans la catégorie “prix moyen à un poil plus chic.” Diverses activités sont proposées au visiteur. Pas d’alcool à l’éco-lodge, ainsi qu’alentour.