L’éducation, j’en fais mon affaire !
Le problème avec l’éducation, c’est que ça concerne vraiment beaucoup de monde (tout le monde, en fait, à un moment ou à un autre), mais que les problèmes à résoudre ne sont pas les mêmes de la maternelle à l’université. Alors on se disperse et chacun se mobilise dans son coin pour son secteur. Là où le problème se transforme en force, c’est quand ce beaucoup de monde décide de se parler pour comprendre quelque chose à tout l’échafaudage, et donc pour être plus efficace. A Montrouge comme ailleurs ces dernières semaines, cela s’est organisé à l’échelle communale.
D’un côté, un gros mécontentement dans le primaire (enseignants et parents) face, entre autres, à l’application improvisée cette année du soutien scolaire... et aux suppressions de postes annoncées pour le RASED [1], par milliers. De l’autre, une réforme du lycée dont des éléments filtrent au compte-gouttes (souvent dans la presse du dimanche), avec des parents et des professeurs qui s’énervent à l’approche de la rentrée de septembre 2009 où elle doit [2]entrer en vigueur... avec des postes de professeurs supprimés, par milliers. Tiens, là aussi ?
Ajoutez des syndicats enseignants qui, à l’échelon national, paraissent fonctionner au ralenti. Et enfin, un ministre qui explique que les manifestations sont démodées, et que les grèves ne se remarquent plus.
Alors si on essayait autre chose ? Par exemple se réunir et s’expliquer où on en est. Triple avantage :
On va plus loin dans l’analyse qu’avec de simples slogans de manifestations, c’est vrai.
On met en avant la logique comptable qui guide en réalité ces annonces émiettées, ainsi que le choix de société qu’elles impliquent, comme cela apparaissait déjà avec la remise en cause du principe de la carte scolaire. [3]
En montrant que les protestations des parents et des enseignants convergent, on dépasse les réactions corporatistes.
A Montrouge donc, des enseignants du lycée Maurice Genevoix, las d’attendre des mots d’ordres de leurs syndicats, et des parents d’élèves (du collège et du lycée) impatients face à la réforme annoncée pour septembre 2009, une centaine de personnes au total, se sont réunis le 4 décembre pour faire le point. Au-delà de l’information, l’assemblée a décidé d’une occupation du lycée pour la semaine suivante, forme d’action qui permet :
de continuer à assurer le fonctionnement du lycée en journée
de se compter et d’échanger des informations en soirée
d’alerter les media du fait de l’occupation de nuit
Pari réussi pour les soirées des 8 et 9 décembre, où l’on a vu passer et se parler des professeurs du lycée, un professeur d’un lycée de l’Essonne engagé dans la même forme d’action, des parents de la FCPE Montrouge de la maternelle au lycée, des conseillers municipaux de l’opposition, des élèves du lycée, des élèves d’autres lycées qui tentent d’organiser une co-ordination de lycéens du 92 Sud... et des journalistes de radio, de presse et de télévision nationales [4].
Etape suivante : le projet d’une réunion de ville - publique - le 15 décembre au lycée, intitulée "Education attaquée, quelle logique ? quels effets ?" , avant le "réveillon revendicatif" prévu en deuxième partie de soirée comme dans de nombreux lycées du pays.
Mais faute d’autorisation administrative, la réunion publique a été repoussée, et la soirée du 15 décembre, à nouveau en présence de journalistes [5], a vu une nouvelle réunion entre des participants (lycéens, enseignants du primaire et du secondaire, parents d’élèves FCPE, conseillers municipaux d’opposition, représentante de la députée de la circonscription) certes soulagés après le recul du gouvernement sur la réforme de la 2nde, mais dans une ambiance encore grave face à quelques constats :
Rien n’a changé sur les annonces de suppressions de postes.
Rien n’a changé pour l’enseignement primaire et supérieur.
C’est la peur de débordements violents dans les cortèges de lycéens qui a joué, sans que la contre-argumentation de fond n’ait été entendue.
Si des divergences sont visibles quant aux suites à donner au mouvement après les prochaines vacances, une dynamique intéressante paraît quand-même enclenchée, dans la mesure où des acteurs de tous les niveaux d’enseignement, avec des parents d’élèves et des élèves, sont parvenus à prendre en charge, collectivement et de manière visible, les questions d’éducation, pour échapper à un dangereux saucissonnage des revendications catégorielles, et affirmer leur attachement aux services publics.
Plus simplement : on dirait qu’il y a des citoyens qui font de la politique, par ici ! Bonne nouvelle : ce n’est pas un gros mot.
A suivre...
[1] Enseignants spécialisés dans la prise en charge, par petits groupes, des élèves en difficulté.
[2] devait, plutôt, voir plus loin.
[3] Un exemple de logique comptable en action : première étape, le nombre de postes à supprimer dans les lycées est décidé, puis, deuxième étape, on modifie le contenu et les modalités de l’enseignement secondaire pour s’adapter au nombre de postes réduits. Selon une logique pédagogique, au contraire, on commencerait par imaginer une réforme pour, ensuite, déterminer le nombre de professeurs nécessaire à son application.
[4] RTL et France Culture : interviews de professeurs dans les journaux du 10 décembre, TF1 : reportage dans les journaux LCI du 10 décembre, reportage photo non encore paru dans Libération.
[5] i-télé et le Parisien